A l'abordage

Le soleil se couchait sur la mer des Caraïbes, quelque part entre les îles de la Nouvelle Providence et Nicaragua. Dans le sillon orangé laissé par les dernières lueurs de l'astre du jour se détachait une silhouette peu commune, du moins à l'heure actuelle. Une sorte de caravelle, authentique et d'époque, sans l'ombre d'un moteur ou de commandes mécanisées.

Tout curieux passant par là s'imaginerait sans doute quelques fantaisies d'un milliardaire au bon goût du jour, affichant honteusement (mais non sans aucun charme) sa scandaleuse fortune, dont l'acquisition fait toujours débat sur les plus prestigieux blogs dénonciateurs de divers complots mondiaux.

"Mon capitaine, commença un marin sur le pont du fier bâtiment, doit-on continuer l'upload d'Avatar en full-HD, afin de le rendre disponible ce soir ?"

Se levant péniblement de son tabouret vermoulu, le vieux pirate jeta un œil noir à son second, lui signifiant ainsi toute l'absurdité de sa question.

"Évidemment, voyez-vous ici l'ombre d'un navire ennemi ? Notre nouvel armement tient en échec la quasi-totalité de l'armada dressée contre nous, pourquoi nous arrêter ? Ils n'acceptent aucune négociation malgré le peu de connaissances de nos vents et courants et la probabilité de leur échec. Ah ! Et faites hisser le drapeau noir."


Vous l'aurez compris chers lecteurs, aujourd'hui l'article sera consacré au vil et méchant téléchargement illégal qui sévit sur notre bon réseau internet. Certains parlent de « vol », d'autres de « Libre partage de la culture ». Quoi qu'il en soit, il existe, il sévit/aide les internautes, et force est de constater que notre pirate a entièrement raison, il est aussi devenu imparable.

Kevin et Michel téléchargent, ce sont des PIRATES.


Bon, commençons par répondre à quelques questions en nous focalisant surtout sur la musique (en fait, on ne fera que ça finalement, répondre à quelques questions).


« Pourquoi nous sort-on tout un foin à propos de téléchargement illégal, alors que des pauvres gens se font défoncer la gueule se bagarrent impunément dans les rues chaque soir ? »


Et bien, parce que se battre ou tuer quelqu'un ou encore noyer un pauvre chaton n'a jamais fait perdre d'argent à personne. Au contraire, il en fait même parfois gagner sous forme de frais d'hôpitaux, d'héritages ou d'économies sur les boites de Whiskas.

Par contre, télécharger, houlala, plus personne ne s'y retrouve. On parle du pauvre artiste qui ne sait plus comment il va finir sa semaine, des majors au bord de la faillite, bref, l'anarchie artistique la plus complète.


Lui, par exemple, manque cruellement d'argent.


« Ah ? Mais, c'est vrai ! Tout travail doit être récompensé ! C'est normal qu'ils râlent.. »


Bien sûr, et c'est là que ça commence à coincer, autant d'un côté que de l'autre. Commençons par les ayants droit et les artistes. Statistiquement, on remarque que ce sont les artistes les plus populaires qui sont les plus téléchargés, on pourrait tout résumer d'une phrase qui ne serait pas « Plus on travaille, plus on perd de l'argent », comme ils aimeraient nous le faire entendre, mais par « Plus notre super zik défonc'tout ou est tro lové par tou l'monde, plus on perd no' frik ». Ce qui n'est pas vraiment le cas non plus. Vu qu'il y aura toujours quelques cloches pour acheter leurs albums ou pour l'offrir à leur meilleur pote qui, justement, est DJ dans les soirées d'anniversaires du coin, ils seront toujours en bénéfice et donc ne « perdront » pas d'argent. Ils en gagneront juste moins.


« Oui, mais si l'artiste produit une œuvre de qualité, il va gagner moins que ce qu'il ne mérite lui ? »


Dans ce cas particulier, et qui devient rare de nos jours, - bon après, oui, qualité pour moi ça veut dire travaillé, recherché, significatif, pas fait spécialement pour faire de l'argent, etc. Mais ça reste un avis personnel – on peut comprendre que l'artiste soit embêté par ce contretemps qui va faire que son compte en banque se remplira moins vite.

Mais allons tout de même voir ce qu'on entend par « artiste », ben oui, moi je pensais qu'un artiste c'était un mec qui bossait par passion pour.. L’art justement? (Ah, mais quel naïf celui-là.)


« Un artiste est un individu faisant (une) œuvre, cultivant ou maîtrisant un art, un savoir, une technique, et dont on remarque entre autres la créativité1, la poésie, l'originalité de sa production, de ses actes, de ses gestes. Ses œuvres sont source d'émotions, de sentiments, de réflexion, de spiritualité ou de transcendances. Depuis le xviiie siècle, l'expression est principalement utilisée à propos des accomplissements de l'humanité différent des sciences et du droit, bien que pour l'anthropologue Lévi-Strauss la démarche de l'artiste relève à la fois de celle du bricoleur4 et du scientifique. »


Nous dit notre ami Wikipedia qui nous donne une définition générale et non philosophique du bonhomme. Donc à aucun moment j'ai vu « L'artiste est un individu qui produit des œuvres pour faire gonfler son porte-feuille », merci les gars.


« Mais oui, mais l'artiste, il faut bien qu'il vive et qu'il ne s'embrouille pas avec un autre boulot pour se consacrer pleinement à son activité »


Eh merde, il commence à réfléchir. Bon, depuis la Renaissance, il existe des gens qui se sont penchés sur le problème et qui se sont dit « On va lui donner de l'argent, comme ça il pourra travailler et produire des trucs époustouflants, et là-dessus nous, on se fera bien voir, mieux on en tirera du profit. » C'est ce qu'on appelait les mécènes, pour le morceau de phrase avant la dernière virgule et Maison de production pour le reste. Le problème, c'est que la tendance s'est légèrement inversée depuis quelques années (pas mal d'années en fait) : les maisons de production ont tendance à prendre l'argent qui serait normalement destiné à l'artiste. Ils justifient cela par les coûts de production des CD (puis des DVD et autres bluerays), les graphistes à payer pour les pochettes, la publicité, le transport, et accessoirement, le dernier Bombardier Learjet garé en bout de piste de Paris-Orly et spécialement destiné à l'usage des membres les plus éminents de la boite. Hiérarchie oblige.

Ca ? Mais non ! C'est juste un véhicule de société !


« Bah c'est normal, ça coute cher de créer un CD ! »


C'était normal avant (et encore..), seulement on assiste de plus en plus à ce qu'on appelle la « dématérialisation des médias ». Ce qui veut dire que de moins en moins de gens achètent de CD, préférant télécharger. Cela prend moins de place, ça va plus vite. Le coût de production baisse donc franchement et cela n'a plus aucun sens de payer le même prix. Pourtant, il reste relativement le même, même sur les plateformes de téléchargement légales. Évidemment, les gens se servent encore des CD, notamment pour les collectionneurs mélomanes ou pour offrir à quelqu'un. Mais, franchement, avez-vous déjà vu une audiothèque de ce nom faite de CD gravés? Et quand vous offrez le dernier collector des Stones à votre papa, vous lui gravez aussi avec écrit sur le CD « je l'ai téléchargé parkeu kom sa je paye pas mdr de lol ! » ?



« Et c'est quoi alors ce « libre partage de la culture » ?


Ah, j'avais oublié d'en parler. En fait, il s'agit juste d'une idée à la con dont les gens qui téléchargent illégalement se servent pour tenter de se justifier. Non, franchement, si vous n’êtes pas d'accord avec le système actuel et que vous téléchargez par contestation, employez les bons arguments... Ah aussi, l'idée de « je crée un bien, et ce bien, bin il appartient à tout le monde en fait », pour info, il y a déjà des gens qui aimaient assez bien le rouge, les marteaux et un autre outil d'agriculture et qui y ont déjà pensé. Et il parait que ça a mal fini. :o (cependant, le système fonctionne assez bien niveau logiciels avec l'OpenSource (Mais avec pour argument l'entraide entre programmeurs, par exemple, qui n'aurait aucun sens dans le domaine musical)


Enfin, sur ce je m'en vais copyrighter mon article, je sais que vous n'allez pas vous empêcher de me le prendre, et moi j'aurai écrit tout ça pour rien, je toucherai pas un rond.

Bande de criminels !




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